A QUOI RÊVENT LES POISSONS ROUGES



 

 
 

SYNOPSIS
 


 
Loin des portes qui claquent et du rythme effréné que l’on retrouve habituellement chez Georges Feydeau, c’est à une lente plongée vers les abysses insondables de l’amour que nous convie Laurent Maindon, metteur en scène d’À quoi rêvent les poissons rouges ?.
Ce spectacle réunit en une même histoire deux pièces de Georges Feydeau, indépendantes à l’origine, Léonie est en avance et On purge bébé. De ce lien imaginaire entre les deux pièces, dans le respect du texte de Feydeau, surgit l’histoire d’un couple et son itinéraire depuis l’attente d’un enfant et les promesses de bonheur jusqu’aux conséquences malheureuses d’un traumatisme dont la femme ne se remettra pas. Dans une scénographie contemporaine et une mise en scène épurée, Laurent Maindon fait la part belle au jeu des comédiens. Il propose une lecture décalée d’un texte décrié par certains pour sa désuétude et souligne l’a-temporalité des difficultés de la vie de couple en révélant la férocité sous jacente du texte. Il place le spectateur tantôt dans la comédie, marque de fabrique de l’auteur, tantôt dans le drame, car dans la vie comme au théâtre, « le rire est parfois un exutoire à la folie ».
 


 
NOTE D’INTENTION
 


 
C’est en cherchant de nouvelles nourritures que celles du théâtre contemporain que je me suis penché sur le répertoire dit classique. A la recherche de nouvelles audaces, dont celle de risquer un regard contemporain sur une oeuvre qui ne l’est pas, une oeuvre qui à coup sûr, dissimule des mystères qui se dévoilent de manière différente selon l’époque à laquelle on s’y intéresse. Théâtre contemporain et théâtre « classique » ne s’opposent pas (puisqu’il faut avoir été un jour contemporain avant de devenir classique), seul le regard du metteur en scène et son travail avec l’équipe artistique saisiront le rapport contemporain à l’oeuvre. Et c’est précisément le but de ce travail : capter ce qui nous renvoie à notre condition d’aujourd’hui en interrogeant un texte qui avait le souci identique à son époque. La première étape s’invite chez Georges Feydeau, en attendant la suivante qui fera halte chez Georg Büchner. Une commande d’écriture est passée à Andras Forgach pour revisiter la pièce allemande, dont le personnage est devenu depuis quasi mythique, Woyzeck. La création mondiale de cette pièce, en langue française, sera présentée à Novi Sad en Serbie dans le cadre des rencontres internationales de mise en scène, avant de tourner en France. Le troisième volet de cette recherche passera enfin par Shakespeare.
 
« A quoi rêvent les poissons rouges ? »
 
Ce spectacle est tiré de deux pièces en un acte de Feydeau, On purge bébé et Léonie est en avance. Feydeau est alors au faîte de son écriture et de sa notoriété lorsqu’il écrit ces deux pièces. Aux prises à des difficultés financières, démoralisé et blessé par le déchirement de son couple qu’il a contribué à défaire par ses frasques extra-conjuguaux, Feydeau s’attèle à une série de courtes pièces en un acte où il se plait à dépeindre des situations de couple sur le déclin. La longue observation de ses propres expériences le conduit vers une lucidité féroce et impitoyable. Ces pièces qui s’éloignent du vaudeville traditionnel au profit de comédie de moeurs surprendront à l’époque ses contemporains mais remporteront un vif succès, la scène brandissant un miroir déformant au public.
 
Pour les besoins du spectacle, j’ai décidé de lier ses deux pièces qui abordent conjointement le sujet de la maternité, de la parentalité et évidemment du couple. Deux pièces distinctes à l’origine que je fais se rejoindre, l’une présentant le couple Follavoine au moment de la grossesse de Léonie, l’autre le situant sept ans plus tard.
 
L’argument
 
Léonie, une femme dans la trentaine, est paniquée, pensant que l’heure de l’accouchement est arrivée. Elle secoue tout son entourage, à commencer par son mari qu’elle juge trop attentiste. Sont convoquées belle-mère et sage-femme, mais cela n’empêche pas le diagnostic final de tomber : il s’agit d’une grossesse nerveuse.
 
Quelques années après, on retrouve le couple plongé dans les affres d’un déchirement perpétuel causé par ce traumatisme. Léonie ne s’est jamais remise de cet enfant qui n’est pas né et qui reste en elle depuis tout ce temps.
La constipation de ce dernier, vécue par Léonie comme une tragédie à venir, va révéler la schizophrénie de cette dernière en présence de Chouilloux, le rendez-vous d’affaires de Julien qui arrive au plus mauvais moment.
 


 
ENTRETIEN -Entretien avec Laurent Maindon par Bernard Bretonnière
 


 
B.B. Georges Feydeau après Heiner Müller, Armando Llamas, Samuel Beckett… Quel est le sens de ce choix plutôt inattendu : un recours rassurant au « classique », une concession au rire, l’ambition d’élargir un public, une facilité ?
L.M. Tout simplement l’envie, la curiosité d’aller là où je n’étais pas encore allé puisque je n’avais effectivement mis en scène que des auteurs contemporains : aller voir si Feydeau est, comme on le dit si vite, un auteur « bourgeois », « ringard ». Il s’agit en tout cas d’un auteur situé à l’opposé de ceux que j’avais l’habitude d’aborder. Je l’ai donc approché comme par défi. Le lisant, je me suis moins intéressé à ses grandes pièces qu’à ses pièces en un acte dans lesquelles il pose un regard sur le couple que je ne m’attendais pas à trouver chez lui.
 
B.B. Le « style » de Feydeau ne vous a-t-il pas semblé vieilli, déroutant pour le spectateur d’aujourd’hui ?
L.M. Derrière un style qui appartient inévitablement à son époque, j’ai surtout vu une grande liberté, une férocité et une cruauté très efficaces. En même temps que je lisais Feydeau, je regardais des films de John Cassavetes et j’ai senti qu’il y avait « un truc », peut-être un lien entre ces deux artistes. En tout cas, j’ai décidé de mettre « mon » lien dans le traitement du spectacle. Alors, après la lecture des pièces et le visionnage des films, j’ai laissé mûrir en moi ce lien qui s’est développé petit à petit, me harcelant sans cesse, comme si j’avais une… rumeur au cerveau. Et puis, je me suis lancé dans l’aventure.
 
B.B. Quelle serait, pour vous, la parenté entre Feydeau et Cassavetes ?
L.M. Je ne parle pas de parenté. J’ai plutôt cherché une cohabitation, une juxtaposition, mais il est vrai que tous les deux traitent de thématiques semblables.
 
B.B. Dans Opening Night, jeu pirandellien sur le théâtre, le personnage de Gloria dit que c’est la liberté d’exprimer ses propres profondeurs qui est révolutionnaire. Peut-être Feydeau, sondant ici les profondeurs de l’âme humaine, par l’observation directe des êtres plutôt qu’en exploitant le comique de situation, était-il déjà révolutionnaire ?
L.M. Opening Night traite de la descente aux enfers du personnage qu’interprète Gena Rowlands. Confrontée aux réalités qu’elle rencontre en tant que comédienne et personnage médiatique, elle perd progressivement contact avec le réel, avec son réel. Dans Une femme sous influence, Cassavetes continue à creuser, toujours avec son actrice fétiche et femme de sa vie, les abysses d’une personnalité qui surnage et habite un monde qui n’est pas fait à sa mesure. Ce sont ces deux situations qui m’ont intéressé et m’ont permis de trouver mon chemin dans l’oeuvre de Feydeau. Au tout début, j’ai été tenté de « cassavetiser » Feydeau. Mais c’était comme si je contournais, sans l’atteindre, le défi que je m’étais lancé. Pour revenir à votre question, mon souci n’est pas de savoir si Feydeau était révolutionnaire dans son approche dramaturgique (probablement pas), mais d’exploiter ce qu’il me semblait lire entre ses lignes.
 
B.B. Allons-nous voir un Feydeau mis en scène pas Cassavetes ?
L.M. Non ! Je n’ai ni cette prétention, ni cette volonté. Cassavetes est simplement pour moi une source d’émulation.
 
B.B. Pourquoi avoir choisi deux pièces de Feydeau, certes toutes deux consacrées au couple, plutôt que de vous en tenir à une ?
L.M. J’ai retenu et lié Léonie est en avance et On purge bébé, dans cet ordre, pour raconter en un seul spectacle l’itinéraire d’un couple à travers la question de la maternité et deux instants-clefs de leur vie. Les deux pièces me sont devenues indissociables alors qu’elle sont écrites sans lien.
 
B.B. Avez-vous réécrit certaines scènes ?
L.M. Aucune, je n’ai pas réécrit une seule ligne, mais j’ai procédé à des coupes succinctes pour alléger l’intrigue de Léonie est en avance puis, dans On purge bébé, j’ai supprimé le personnage de l’enfant qui devient un fantasme des parents et non plus un enfant réel. Ainsi, c’est Léonie qui interprète le texte de l’enfant : elle est à la fois l’enfant qui n’est pas sorti d’elle pour cause de grossesse nerveuse et cette mère virtuelle.
 
B.B. N’avez-vous pas peur d’une désuétude, dans ces deux farces conjugales de Feydeau, qui ne serait pas seulement celle de la langue ?
L.M. Feydeau n’est évidemment pas notre contemporain. On ne parle plus aujourd’hui comme dans ses pièces, sans doute ne vit-on plus de la même façon. Mais cela ne me fait guère peur, cela ne me gêne pas de rappeler que le texte date. Il date, mais il n’est pas désuet. S’il n’est évidemment pas actuel pour les raisons que l’on vient d’évoquer, il n’en reste pas moins universel de par ses thématiques « incontournables » que sont l’amour, la maternité, la déraison… Ce qui est beau, chez Feydeau, c’est qu’à tout instant derrière le rire provoqué par telle ou telle réplique, on ne tarde pas à apercevoir une détresse, une déroute, une fêlure. Ces textes en sont truffés, si bien que l’humour cohabite souvent avec les larmes. On (sou)rit pour ne pas s’effondrer. Feydeau a prolongé une tradition littéraire qui existait avant lui, il l’a ciselée avec talent et il a fait des petits. Ils sont nombreux, les héritiers plus ou moins avoués de ce styliste, et notamment les auteurs à l’humour dit « absurde ». Un spectacle est à prendre dans sa totalité. La désuétude, où tout ce qui pourrait s’y apparenter, doit donc se retrouver dépassée par les partis pris de la mise en scène, du décor, des costumes et du jeu des comédiens.
 
B.B. Le décor de Christophe Garnier et les costumes d’Anne-Emmanuelle Pradier sont donc contemporains.
L.M. Le décor, ici, habille le vide : beaucoup de blanc, peu d’éléments. Non pour qu’il soit neutre, mais au contraire pour qu’il soit marqué : du blanc comme dans un loft bobo, du blanc comme pour révéler un statut social, sans oublier une lourde symbolique de virginité et une atmosphère d’univers psychiatrique. Les costumes suivent le même questionnement ; ils cherchent à rendre compte du temps qui s’écoule entre les deux parties, à témoigner des choix esthétiques des individus qui les portent, à rendre compte d’un vécu… Ce sont les extensions identitaires des personnages.
Ces deux-là font partie des complices avec qui je travaille depuis plusieurs spectacles, au même titre que l’éclairagiste Jean-Marc Pinault et Jérémie Morizeau qui fait nos bandes son. J’amène les premières idées en leur expliquant mon parti pris, eux s’en emparent, les digèrent et les emmènent plus loin, à mon tour je les intègre et pousse l’ensemble plus loin. C’est un travail d’équipe et d’émulation.
 
B.B. Avez-vous voulu chercher à donner à votre mise en scène une dimension cinématographique ?
L.M. Je me méfie des effets cinématographiques transposés au théâtre. Ce qui m’intéresse, c’est l’influence, pas les effets.
 
B.B. Qu’on le veuille ou non, nous sommes nourris de cinéma, d’expressions d’images contemporaines.
L.M. Bien sûr, et je m’en nourris énormément. C’est d’ailleurs un terreau permanent dans lequel nous puisons avec les comédiens. Nous nous échangeons des films et en débattons entre nous ; mais je ne veux être ni dans la citation, ni dans le complexe. Les tentatives de cinéma sur une scène de théâtre, si elles sont tentantes, me sont souvent apparues ratées.
 
B.B. Comment avez-vous procédé pour le choix des comédiens ?
L.M. Je ne me vois pas m’engager dans un spectacle si je n’arrive pas à réunir la distribution que je souhaite au départ du travail. Retravailler avec Laurence Huby, qui a là un très beau rôle, m’intéressait beaucoup. Cela faisait longtemps que nous n’avions pas travaillé ensemble sur une partition majeure. J’ai aussi voulu prolonger une complicité récente avec Georges Richardeau après Vitellius*, dans un registre plus étoffé et plus large. Yann Josso est mon complice de longue date désormais, et j’ai toujours plaisir à le retrouver — ici dans un registre nouveau. Quant à Anne Dupuis (que j’avais découverte dans Le Système Ribadier de… Feydeau monté par le CRAC et mis en scène par Hélène Vincent), cela fait longtemps que j’attendais l’opportunité de lui proposer l’aventure.
 
B.B. Pensez-vous désormais poursuivre dans votre appréhension du « théâtre classique » ?
L.M. Si je veux tenter de montrer la pertinence qu’il y a à monter et à montrer Feydeau aujourd’hui, c’est pour en finir avec l’opposition théâtre classique – théâtre contemporain. Tout théâtre classique a bien dû être contemporain un jour — c’est une boutade, mais… Ce dont j’ai envie, c’est de faire des allers-retours entre une époque, la nôtre, et celles qui l’ont précédée. C’est, un peu comme pour les polyglottes, la possibilité d’exprimer au mieux un vécu dans une langue, et des sentiments dans une autre. Je pense qu’en fonction de ce que l’on veut raconter, de ce que l’on veut exprimer, on peut avoir des besoins et des envies qui nous font choisir un texte classique plutôt qu’un texte contemporain, et vice versa. Il ne me semble pas y avoir de dogmes en la matière. Et puis, il y a encore pour moi le défi, et le risque, de mettre en scène des pièces qui l’ont déjà beaucoup été.
 
B.B. Voulez-vous, avec ce, ces Feydeau, témoigner d’une époque révolue ?
L.M. Non, bien sûr. On ne va pas au théâtre comme on va dans un musée poussiéreux : je ne saurai jamais monter un texte sans y voir le rapport qui existe avec ce que je vis, moi, un homme de quarante ans au début du XXIe siècle. C’est, je dirais, la moindre des honnêtetés.
 
* Vitellius, de l’auteur hongrois András Forgách, a été créé dans une traduction de Laurent Maindon au Lieu Unique/Scène Nationale de Nantes en mars 2005.

 
 
COMPLÉMENT
 
 
DISTRIBUTION
D'APRÈS GEORGES FEYDEAU
PRESSE