AUTEUR : EDGAR HILSENRATH
ANNÉE DE CRÉATION : 2017
PRODUCTION : Création en co-réalisation : Onyx - Grand T, à Onyx - Saint-Herblain (44)
Ce spectacle est aidé, pour sa création, par le Conseil Régional des Pays de la Loire, la Ville de Saint-Herblain, le dispositif Voisinages et la Spedidam. Ce spectacle a bénéficié du Fonds de soutien à la professionnalisation Avignon Festival OFF 2017 - AF&C
J’ai découvert l’œuvre d’Edgar Hilsenrath en lisant le Nazi et le Barbier, roman picaresque et d’une liberté infinie qui ose parler de l’holocauste avec une absence de complexe à couper le souffle. L’important, pour l’auteur, n’est pas de sanctifier les juifs mais de parler de la condition humaine, de ses travers, de ses perversités mais aussi de ses rêves, de ses angoisses et des conditions de sa survie.
J’ai alors poursuivi ma lecture de ses autres romans (Nuit, Le conte de la dernière pensée, Le Retour au pays de Jossel Wassermann…) Puis je suis tombé sous le charme de Fuck America alors même que je cherchais à travailler à l’adaptation d’un roman. L’univers du New York des années 50, l’exil de cet écrivain en devenir, l’humour et la profondeur de ce personnage, Jakob Bronsky, la liberté de ton d’Hilsenrath ont résonné avec mes interrogations actuelles de metteur en scène. Comment prendre une distance poétique pour parler de l’exil et de la migration sans systématiquement coller à la réalité médiatico-journalistique ?
Aujourd’hui il nous importe de nous interroger sur ces mouvements de population, tragiques, mus par la barbarie qu’elle soit d’origine religieuse, politique ou économique. Comment les franchissements de frontière deviennent des actes héroïques de survie, animés bien souvent par la peur ? Pourquoi ces migrations créent elles invariablement chez les populations d’accueil des angoisses maladives de perdre sa propre identité culturelle, d’être dépossédé de sa propriété privée (je ne parle pas uniquement des biens) ? Que se joue-t-il de part et d’autre dans ces franchissements de frontière ? Quelles secousses sur soi ces déracinements provoquent-ils ?
Notre projet tient en quelques mots : Adapter un roman dont la structure narrative est essentiellement composée de monologues intérieurs et de dialogues, restituer la spontanéité des événements en créant un dispositif video sobre et maniable pour passer d’une situation à l’autre dans l’instant et permettre des dialogues entre l’écran et les personnages sur scène, conserver un rythme soutenu dans l’enchainement des scènes afin de conserver la pression qui environne cet exilé, tout cela avec une équipe réduite à 5 comédiens sur scène, voilà le prochain projet du Théâtre du Rictus qui entame avec Fuck America un projet plus vaste autour de l’exil et la migration.
En parallèle, il sera accompagné par la création d’un spectacle de 30 minutes, Guerre de Jane Teller, directement inspiré du transfert de populations et destiné à sensibiliser la jeunesse (du CM1 à la Terminale) sur les complexes questionnements qui s’enroulent inévitablement autour de l’exil et de la migration. Nous proposerons en amont de l’accueil de Fuck America, de travailler en concertation avec l’équipe du théâtre et son réseau scolaire, en accueillant ce spectacle et en proposant débats et ateliers.
Notre questionnement se poursuivra en 2019 avec la création de Chroniques (commande d’écriture passée à Sedef Ecer, écrivain franco-turque et Sonia Ristic, écrivain franco-yougoslave). Comment la Grande Histoire vient modeler, perturber, les petites histoires ? Une dramaturgie « à la Short cuts » (de Robert Altman) sur fond de migrations.
Laurent Maindon
Intrigue de Fuck America
Bronsky, qui a survécu aux ghettos nazis, débarque dans le New York des années 50 dans l’intention d’écrire un roman sur ce qu’il a vécu. Mais l’exil place le migrant dans une société qui l’ignore et que lui rejette, déformant peu à peu le rêve américain. Entre repli communautaire, misère sexuelle et petits boulots, il se fraie un parcours littéraire dans la précarité pour parvenir à ses fins.
Truculent, insolent, Hilsenrath remise les tabous et livre un portrait haut en couleurs de cet émigré juif.
À travers ce récit truculent, l’auteur aborde de plain-pied la déshérence de son personnage, balloté sans cesse entre espérances et déconvenues, écartelé entre le rejet de l’Allemagne nazie qu’il a fuie et celui d’une Amérique qui ne le veut pas. Car il débarque à New York avec une histoire, un passé, un passif. L’exil commence.
Cette histoire, au-delà du style et des obsessions de l’auteur, est emblématique du déracinement, de la modification de l’identité, de nécessités nouvelles.
DISTRIBUTION
Jakob Bronsky : Nicolas Sansier
Tous les autres personnages seront interprétés par : Laurence Huby, Ghyslain Del Pino, Christophe Gravouil, Yann Josso
Conception lumières : Jean-Marc Pinault
Conception sonore : Jérémie Morizeau
Création vidéo : Marc Tsypkine de Kerblay et Machine Machine
Costumes : Anne-Emmanuelle Pradier
Construction décor : Thierry et Jean-Marc Pinault
Adaptation du texte : Loic Auffret, Claudine Bonhommeau, Christophe Gravouil, Laurent Maindon
Mise en scène : Laurent Maindon
Assistanat à la mise en scène : Christophe Gravouil
EDGAR HILSENRATH
Edgar Hilsenrath, né à Leipzig en 1926, connaît une enfance aisée jusqu'à l'arrivée d'Hitler au pouvoir, qui change considérablement la vie de sa famille. Après s'être adressé, sans succès, au consul des États-Unis pour obtenir des visas d'immigration (c'est le début de Fuck America), son père envoie, en juillet 1938, sa femme et ses enfants dans leur famille en Roumanie. Mais en 1941, les Juifs de Sereth sont déportés à Moghilev-Podolsk, un ghetto ukrainien de plus de 50 000 personnes, rapidement vidé par le choléra, le typhus, la famine et le froid.
A la libération du ghetto par l'Armée rouge, Hilsenrath gagne la Palestine. Il connaît l'expérience (non concluante) des kibboutz et erre durant deux ans, d'une ville à l'autre, accumulant les petits boulots.
En 1947, après avoir rejoint ses parents à Lyon, il est transformé par la lecture d'Arc de triomphe d'Erich Maria Remarque et commence son roman : en France, puis à New York, où il a suivi son frère en 1951. En 1958, il obtient la nationalité américaine et termine Nuit, roman d'un réalisme cru. Au printemps 1971, Le Nazi et le barbier est un succès de librairie encore plus massif.
Malgré ces succès, la vie d'Hilsenrath change peu au cours de ces années américaines. Jusqu'à son départ pour l'Allemagne, en 1975, il est serveur dans un delicatessen. Il travaille au noir, ne paie pas d'impôts et reçoit chaque soir son salaire en liquide. Il décide de rentrer en Allemagne, où il cherche à nouveau un éditeur. Nuit reparaît en 1978, Fuck America sort en 1980. Depuis Hilsenrath a reçu d’innombrables prix littéraires de par le monde.
MAVILLE ANGERS / Fuck America au THV ? - 07/02/18
Après « La Ville de l’année longue » de William Pellier accueillie en 2016, Laurent Maindon s’empare cette fois-ci du roman insolent d’Edgar Hilsenrath pour questionner, avec une distance poétique, la condition de l’exilé. Dialogues déjantés et situations loufoques nous plongent dans l’histoire de Jakob Bronsky, exilé juif allemand et écrivain en devenir. Bronsky, survivant des ghettos nazis, débarque dans le New York des années 50. L’exil place le migrant dans une société qui l’ignore et qui le rejette, déformant peu à peu le rêve américain. Entre repli communautaire, misère sexuelle et petits boulots, Jacob décide d’écrire un roman. Dans un style percutant, il évoque le monde du travail, les bars, la cafétéria des émigrants, les femmes. Jacob Bronsky écrit pour laisser affleurer le vivant alors que la mort a tout emporté.
Pour le Théâtre du Rictus, adapter ce roman au théâtre, c’est s’interroger sur ces mouvements de population mus par la barbarie qu’elle qu’en soit l’origine. Comment les franchissements de frontière deviennent des actes héroïques de survie ? Pourquoi ces migrations créent-elles invariablement chez les populations d’accueil l’angoisse de perdre sa propre identité culturelle ? Et parce que l’on est au théâtre : comment prendre une distance poétique pour parler de l’exil et de la migration ?
Avec le théâtre et la vidéo, Laurent Maindon transpose dans notre époque la pertinence d’une œuvre truculente, crue, implacable. Fuck America décape !
Cordeau Clémence
FRAGIL / What the Fuck ? - 24/01/18
Adaptée du roman éponyme d’Edgar Hilsenrath, la pièce Fuck America suit les errances de Jakob Bronsky, juif allemand exilé aux Etats-Unis dans les années 50. Entre ses boulots de nuit, la bouillie servie à la cafétéria des émigrants et les putes qu’il a rarement le luxe de s’offrir, le rêve américain se révèle décevant. Dans cette adaptation, Le Théâtre du Rictus reste très attaché au roman, sa structure narrative et ses dialogues des plus trash.
La pièce, comme le livre, s’ouvre sur la correspondance entre Nathan Bronsky, père du héros, et le consul des États-Unis. On est en 1938, les nazis brûlent les synagogues en Allemagne et M. Bronsky demande des visas en urgence. Le consul lui répond huit mois plus tard en juillet 1939 ! N’étant qu’un juif parmi des centaines d’autres milliers persécutés, selon le système de quotas et en étant optimiste, la demande de visas devrait aboutir dans treize ans, soit en 1952 ! Le ton est donné. L’humour est noir, grinçant.
On retrouve donc Jakob Bronsky à New York dans les années 50. Ayant survécu aux camps de la mort, il est finalement parti s’installer aux États-Unis. Ce pays des rêves et des libertés où n’importe qui peut faire fortune…ou pas ! Cet antihéros, qui n’est autre que le double de l’auteur Edgar Hilsenrath, est confronté à toutes les difficultés d’un nouvel arrivant : trouver un logement, un travail, une femme, tout est une lutte et le choc des cultures est violent. Pas facile de faire sa place dans une société où le culte du succès, du pouvoir et de l’argent règnent en maîtres.
Notre exilé va donc se réfugier dans l’écriture. Son livre racontera les péripéties d’un homme seul et comme le souligne son colocataire « Si c’est un homme solitaire, c’est un branleur. Appelez votre livre Le Branleur ! ».
Pour la mise en scène, Laurent Maindon a fait le choix d’une équipe de 5 comédiens. Le décor minimaliste trouve une profondeur dans une partition vidéo des plus réussie. Le texte d’Edgar Hilsenrath est cru, sans filtre. Il sent le taudis, la misère et la faim. Il parle de bite, de cul, de putes… ça sort des tripes, rappelant ici et là le ton de son homologue américain Charles Bukowski. A la fois moteur et frustration, le sexe est omniprésent. Sur le plateau, certaines scènes font place à l’obscène et l’irrévérencieux flirte parfois avec le mauvais goût. Mais qu’importe ! On s’attache à ce personnage qui galère avec une mention spéciale pour la scène finale des plus touchantes.
Ce texte qui traite d’exil et de migration a été publié en 1980 et résonne tout particulièrement aujourd’hui, à l’image de cette phrase parlant des Etats-Unis : « Dans ce pays, un intellectuel n’a aucune chance de devenir président.» Tristement visionnaire !
OUEST-FRANCE / « Fuck America » ou les désillusions de Jacob - 11/01/18
La nouvelle pièce du Théâtre du Rictus adapte l’histoire d’un exilé juif polonais, dans le New York des années 1950. À découvrir à Onyx à Saint-Herblain.
Un metteur en scène nantais, des comédiens nantais qui se connaissent très bien (Nicolas Sansier, Laurence Huby, Ghyslain del Pino, Christophe Gravouil, Yann Josso), une salle presque nantaise : amateurs de théâtre, si vous aimez consommer local, ne loupez pas Fuck America.
Cette création de Laurent Maindon, présentée l’été dernier au festival off d’Avignon, est l’adaptation du roman autobiographique d’Edgar Hilsenrath publié en 1980.
Son personnage principal, Jacob Bronsky, immigré juif, surnage dans le New York des années 1950. Dans la peau de ce looser magnifique, Nicolas Sansier tient le premier rôle, trimballant sa carcasse de bout en bout. Pour payer le loyer de sa piaule minable et écrire son futur best-seller sur son expérience des ghettos juifs, il devient promeneur de chien désabusé, serveur totalement inadapté, cherche l’inspiration (et un peu de chaleur) auprès de prostituées…
Scènes cocasses, situations borderline, propos crus, le tout servi par une brochette de personnages savoureux : ça dépote à un rythme soutenu dans un décor changeant (enrichi par le travail vidéo de Marc Tsypkine). Un décor qui montre beaucoup, des questionnements intimes du héros jusqu’aux nuits glauques d’une ville qui ne veut pas de cet étranger, survivant de l’horreur nazie.
Avec Fuck America, le théâtre du Rictus entame une réflexion autour de l’exil, comme l’explique Laurent Maindon : « Aujourd’hui, il nous importe de nous interroger sur ces mouvements de population, tragiques, mus par la barbarie qu’elle soit d’origine religieuse, politique ou économique. Comment les franchissements de frontière deviennent des actes héroïques de survie, animés bien souvent par la peur ? »
M. Piolat Soleymat / La Terrasse, premier média arts vivants en France / juillet 2017 / N°256 la terrasse / avignon en scène(s)
Ils sont cinq comédien-ne-s, sur la scène du Nouveau Ring, pour incarner l’écriture de l’écrivain allemand Edgar Hilsenrath. C’est Fuck America, dans une mise en scène de Laurent Maindon.
Après avoir survécu à la barbarie nazie, Jakob Bronsky (double de l’écrivain Edgar Hilsenrath, interprété par Nicolas Sansier, aux côtés de Laurence Huby, Ghyslain Del Pino, Christophe Gravouil et Yann Josso) arrive dans le New York des années 1950 avec pour ambition d’écrire un roman autobiographique. Mais le rêve américain, qu’il croyait à portée de mains, ne se révèle pas aussi facilement accessible…Nouveau spectacle du Théâtre du Rictus (compagnie créée en 1996 par le metteur en scène Laurent Maindon et le comédien Yann Josso), cette adaptation du roman d’Edgar Hilsenrath explore avec humour et irrévérence les thèmes de l’exil, de l’identité et du déracinement. Entre dialogues et monologues intérieurs, Fuck America interroge les actes de survie héroïques que constituent les franchissements de frontières.
Article par Gilles Costaz publié sur webtheatre.fr le 25 juillet 2017
Émigrer, migrer. C’est le thème qu’explore le théâtre du Rictus et développe à présent avec une adaptation du roman d’Edgar Hilsenrath, avant de monter les pièces commandées à Sonia Ristic et à Sedef Ecer. Le titre, Fuck America, donne le ton : ce ne sera pas du politiquement correct, du bien-élevé, du théâtre au langage châtié. Dans la première scène, le héros écrit au Consul des Etats-Unis pour obtenir un visa ; il a bien des raisons de le faire, il est juif et berlinois, les nazis le persécutent, l’ont volé, ont frappé sa famille, le mettent à la porte. Le Consul répond qu’il n’y plus de place en Amérique et qu’il y en aura, selon les quotas mis en place, à partir de 1952. D’où la colère de l’homme. Il arrive quand même aux States dans les années 50 ; sa vie, là-bas, est misérable. Boulots ingrats, fréquentation des putes… Il a un roman sur le chantier, qui s’appelle Le Branleur. Il le mènera jusqu’au bout, envers et contre tout, gardant dans la pauvreté son ironie, son franc-parler, sa liberté, sa « mauvaise éducation » face à un monde mesquin et puritain.
L’adaptation est construite sur la structure du double. L’homme qui parle se présente comme un certain Bronsky mais il n’est peut-être pas Bronsky. On ne sait jamais si c’est un autre ou bien lui-même, sans savoir non plus qui a raté sa vie et qui l’a réussie. Laurent Maindon a su développer son spectacle sur cette ambiguïté et donner une fascinante continuité variée à la succession des scènes. Nicolas Sansier interprète ce Jacob Bronsky avec une belle épaisseur. L’interprétation de ses partenaires, Ghyslain del Pino, Christophe Gravouil, Laurence Huby, Yann Josso, a également une réelle puissance romanesque. Les ambiances sont toutes cuisinées avec soin. Les mots ont de la couleur, de l’impudeur et de la pudeur. C’est remarquable.
Fuck America par Isabelle Bonat-Luciani
C’est toujours une expérience d’aller voir une pièce. Peut-être parce que je n’y vais pas souvent. Je suis allée voir Fuck America « à l’aveugle », sans rien savoir de l’histoire, ni de l’auteur que je ne connaissais pas. Fuck America est donc un roman de Edgar Hilsenrath. Pour moi c’était surtout une pièce de théatre de Laurent Maindon sans savoir qui était vraiment Laurent Maindon et le théatre du Rictus, excepté ces instantanés facebook qui tissent des échanges, des résonnances, des choses qu’on a envie de partager. L’occasion était belle. Je me suis assise très sagement dans ce théatre du Ring (je dis ça comme ça mais la programmation est franchement classe, je pense notamment à cette pièce vue au 104 par Jonas Hassen Khemiri, « Nous qui sommes cent » que j’étais heureuse de retrouver là, sur les murs d’Avignon).
J’avoue, les premières minutes j’ai eu peur. La raison est très bête : émotionnellement trop chargée par cette semaine d’épouvante, j’aurais voulu me plonger toute entière dans un univers ouaté, empli de bisounours volants et de bonbecs dégoulinants de rose (ça arrive parfois, c’est fugace et ça tient pas). Les premiers mots de la pièce étaient juif, Bronsky, consul général, ghetto. Bon. Raté pour Candy au pays de la licorne.
Bronsky a donc survécu aux ghettos nazis et débarque en Amérique, pays du rêve et de la liberté. On le voit dans le New York des années 50, clodo parmi les clodos à vivre de petits boulots, logé dans un bouge l’esprit pas tranquille qu’on vienne le déloger face aux impayés qui l’écrasent. Ecrivain la nuit et crève la faim le jour. Bronsky a le projet d’écrire un roman : « quelque part dans mes souvenirs, il y a comme un trou. Un grand trou noir. Et c’est par l’écriture que j’essaie de le combler ». Cette pièce nous donne à voir précisément cette affaire d’écriture, d’écrivain en devenir, elle se déroule sous nos yeux et certains mots restent, écrits en blanc sur l’écran tandis que la voix les porte. C’est très beau à voir, à lire, à garder ces phrases qui se notent sous nos yeux, comme un roman qui est en train de s’écrire dont on sent profondément la lisière à chaque fois entre l’humour et le drame. On suit ces petits boulots de merde, on rit sur ces limaces dans un restaurant aux codes de riches où les limaces s’appellent des escargots et que le comédien tente de découper avec couteau et fourchette puis finit par les bouffer avec leur coquille, les serveurs sont outrés mais bien dans leur rôles ils n’en montreront rien, tout est permis aux riches, même d’être cons. A Bronsky rien n’est permis dans cette amérique puisqu’il est l’intrus, le migrant et que cette condition de fait, l’exclue. Au mieux on l’ignore, au pire on le rejette. Les scènes s’enchainent à un rythme soutenu où l’on passe d’un univers à l’autre, de boulots au troquet où ses amis, les seuls qu’il peut avoir les mêmes que lui, à la pute qu’il aimerait bien baiser, aux lettres avion qui sont envoyées à personne et qui immanquablement reviennent, les gens sont-ils fous d’écrire des lettres aux membres de leur famille qui ont été gazés ? Qui est vraiment fou on se demande. Bransky ne lâche pas il écrit, il écrit son roman basé sur des faits réels, une histoire, son histoire. On le regarde trébucher, tomber parfois, crever de solitude et de désir. On voudrait lui tenir la main jusqu’au bout de la pièce. Peu à peu les mots lâchent « j’ai compris qu’il ne suffit pas de survivre. Survivre ce n’est pas assez ». Peu à peu, son obsession de liberté, de libération, fait renaitre le désir, sa virilité qui s’est retrouvée enterrée sur tant de cadavres.
On sort de là avec l’envie de tout lire Edgar Hilsenrath comme si soudain c’était fondamental, et je crois oui, que ça l’est. On garde les mots entendus avec l’envie d’y plonger tout entier, on garde la musique et les images qui permettent des dialogues entre l’écran et les comédiens sur scène. On y est, on voudrait bien y rester, on rit parce que c’est malicieux et on retient ses larmes quand même parce que ça parle, ça résonne, et questionne tellement aussi sur aujourd’hui. Fuck America de Laurent Maindon c’est cette pièce qui rend inévitable la rencontre avec Hilsenrath si elle n’a pas déjà été faite, pour les autres j’imagine, des retrouvailles que les comédiens viennent incarner avec justesse, sobriété et humanité.
Paul Morizeau (03 / 07 / 17)
S’Il y a un spectacle qui justifie votre séjour au festival d’Avignon, c’est Fuck America. J’ai eu la chance de découvrir cette réalisation en avant première avant son départ pour Avignon. J’ai rarement ressenti, au terme d’une représentation, une si belle attention, un public en émoi, la pression de larmes retenues qui se libéraient,la mesure du risque engagé par l’adaptation théâtrale d’une œuvre romanesque si sombre et torturée.
J’encourage les spectateurs avides de pièces rares et de découvertes, amateurs enthousiastes et professionnels fatigués à donner la priorité de leur sélection Avignonnaise à Fuck America du théâtre du Rictus. L’œuvre est bouleversante, sa réalisation est précise et rigoureuse. Vous sortirez du théâtre avec la sensation d’avoir assisté à un travail juste, profond, rigoureusement interprété et porté à la scène.