Les chroniques de Jean Dessorty


 

 

Novado toujours mais hier soir à la Baleine avec une pièce du Théâtre du Rictus, lequel porte bien son nom tant son regard aiguisé et cruel sur le monde d’aujourd’hui trouve de plus en plus d’échos. « Rhapsodies » est le dernier opus d’un triptyque corrosif et décapant qui s’attache à démonter les travers de notre société frénétique. Cette fois sa cible c’est la téléréalité: sa mécanique pernicieuse et retorse qui biaise le regard jusqu’à l’occulter. Du casting formaté pour le public à conquérir jusqu’au storytelling le plus complaisant voire le plus abject, rien ne nous est épargné. Tous les coups sont permis avec pour seul critère rendre le projet « télécompatible » c’est à dire le plus formaté possible quitte à « façonner, sculpter et maquiller » la réalité. Avec la dictature de l’audimat comme moteur, transformer des histoires désespérément banales en audience potentielle n’est qu’exercice de style, où sans scrupule et toute honte bue comme seule consigne, on manipule à tout va et « on adapte la réalité à la fiction ». Sur scène, transformée pour l’occasion en studio de production, les écrans servent de référence ultime, de juges de paix et de totems incontournables devant qui se prosterner. Big Brother devient de plus en plus effrayant, repoussant toujours plus loin les limites de l’inacceptable. Formatage systématique et scénario adéquat sont les ressorts de cette histoire effrayante, des miroirs qui reflètent les angoissantes capacités de la perversion humaine. Passer du rire aux larmes, jouer sur toute la gamme de la sensiblerie la plus étouffante, faire du téléspectateur une simple variable d’adaptation au marché, y compris de produits dérivés, devient une obsession dévastatrice. La mise en scène aussi épurée que tranchante ne laisse aucun espoir, le cynisme dégoulinant des uns n’ayant pour écho que la soumission veule des autres. Ces romans photos déroulés à satiété pour faire pleurer dans les chaumières appuient là où ça fait mal et interrogent chacun sur sa volonté de décrypter les enjeux induits, la capacité de résistance individuelle et collective face à cette standardisation envahissante.
George Orwell et Andy Warhol comme pères incestueux transcendent ce spectacle maléfique et crépusculaire en une réflexion salutaire, décomplexée et subversive sur le pouvoir des images et, in fine, sur les images du pouvoir.