Théâtre / Critiques – Fuck America d’après Edgar Hilsenrath

Fuck America en Avignon
 

 

Article par Gilles Costaz publié sur webtheatre.fr le 25 juillet 2017

Émigrer, migrer. C’est le thème qu’explore le théâtre du Rictus et développe à présent avec une adaptation du roman d’Edgar Hilsenrath, avant de monter les pièces commandées à Sonia Ristic et à Sedef Ecer. Le titre, Fuck America, donne le ton : ce ne sera pas du politiquement correct, du bien-élevé, du théâtre au langage châtié. Dans la première scène, le héros écrit au Consul des Etats-Unis pour obtenir un visa ; il a bien des raisons de le faire, il est juif et berlinois, les nazis le persécutent, l’ont volé, ont frappé sa famille, le mettent à la porte. Le Consul répond qu’il n’y plus de place en Amérique et qu’il y en aura, selon les quotas mis en place, à partir de 1952. D’où la colère de l’homme. Il arrive quand même aux States dans les années 50 ; sa vie, là-bas, est misérable. Boulots ingrats, fréquentation des putes… Il a un roman sur le chantier, qui s’appelle Le Branleur. Il le mènera jusqu’au bout, envers et contre tout, gardant dans la pauvreté son ironie, son franc-parler, sa liberté, sa « mauvaise éducation » face à un monde mesquin et puritain.
L’adaptation est construite sur la structure du double. L’homme qui parle se présente comme un certain Bronsky mais il n’est peut-être pas Bronsky. On ne sait jamais si c’est un autre ou bien lui-même, sans savoir non plus qui a raté sa vie et qui l’a réussie. Laurent Maindon a su développer son spectacle sur cette ambiguïté et donner une fascinante continuité variée à la succession des scènes. Nicolas Sansier interprète ce Jacob Bronsky avec une belle épaisseur. L’interprétation de ses partenaires, Ghyslain del Pino, Christophe Gravouil, Laurence Huby, Yann Josso, a également une réelle puissance romanesque. Les ambiances sont toutes cuisinées avec soin. Les mots ont de la couleur, de l’impudeur et de la pudeur. C’est remarquable.